par Arsène Caens
/CROISEMENTS
— YVES BERGERET : LE POÈME-PEINTURE, UNE PARTITION POUR L’IMPROVISATEUR
Un des aspects les plus inspirants de la pratique du poète montagnard Yves Bergeret, de notre point de vue, consiste en ses diverses possibilités de prolongements musicaux. Cet aspect participe pleinement de la poétique du dialogue humain par l’espace qui anime l’ensemble de son oeuvre. Â de multiples occasions, on se rend même compte que la pratique générale du poème-peinture, dans ses divers usages, est pensée en amont pour pouvoir s’accorder aux exigences d’une interprétation musicale construite, dans laquelle des musiciens habitués au travail d’improvisation peuvent se retrouver spontanément.

Poème-peinture n°1 tiré du cycle Les Voix du sol (2013) © AC
Après avoir décrit de manière globale l’objet du poème-peinture (voir ici), nous pouvons insister sur sa fonction de partition en mots et couleurs, dont certains éléments retrouvent peut-être de manière essentielle le propre de toute écriture musicale.
Une première façon de décrire la chose pourrait consister à distinguer dans la composition du poème-peinture les niveaux d’organisation se rapprochant – parce que souvent ils s’en inspirent – des registres d’une partition musicale traditionnelle. Tout discours musical consiste en l’organisation cohérente d’un divers sonore dont les composantes, le plus souvent, correspondent à des unités instrumentales (groupes ou instruments seuls) à combiner dans la durée. Si la partition est donc ce texte organisant la « partition » spatiale des masses et des lignes mélodiques, dans lequel chaque instrumentiste peut lire et suivre son rôle, on réalise que de la même façon le poème-peinture fait apparaître divers registres formels pouvant chacun être investi d’une signification musicale en développement.
Le texte calligraphié, d’abord, s’organise à la surface du papier selon des regroupements plus ou moins serrés, correspondants globalement aux strophes du poème. Cette graphie évidemment ne peut coder dans l’immédiat les hauteurs, donc la mélodie, qu’on pourrait improviser sur un instrument, monodique par exemple ; en revanche elle pose de manière visuelle des densités, des rythmes, une certaine vitesse de formulation dans le tracé, net ou esquissé, données se rapprochant fortement des éléments d’une partition classique dans leurs aspects visuels. Sorte de groupements de notes, non code, mais déjà jeu, sous l’expression et la « diction » du poignet qui les trace et les exprime, les lettres posées à l’encre renvoient à diverses interprétations musicales possibles, et donnent au premier coup d’œil la forme générale d’un développement où alternent et se combinent zones denses et silences. Des variations de taille et d’épaisseur entre les mots du poème peuvent aussi traduire une dimension d’intensité aux implications sonores évidentes : un mot s’imposant visuellement plus que les autres pourra susciter une poussée sonore plus forte, tandis que certains autres presque imperceptibles, tracés amplement en lavis très léger à l’arrière même de la couleur, ouvrent un registre de lecture plus secret.
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