Arts, Arts verbaux, Poésie, Projet poésie été 2016

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Guillaume
Le 11 août
À Samuel, Florian, Peter, Arsène

Arsène, tu es en Chine mais j’ai un voyage de retard : voici donc une réponse à tes textes de Suisse.

g.

Réponse à Arsène en Suisse

Je t’imagine Arsène au Mac
Do des montagnes entre le mac
Chicken et les télévisions avec
Devant les yeux ton Bic
Un carnet et ton cornet de frites.

Comment dormais ?
Comment mangeais ?
Comment lavais ?

Hé bien moi, j’ai passé mon été
à oublier un boulot du passé
un boulot qui m’a été supprimé
et j’ai dormi beaucoup et contemplé autant
les ciels intenses les ciels nombreux
qui se déploient soirs et matins sur les Lilas
les ciels –
et j’ai écrit
des bas quatrains

et j’ai bossé
oui j’ai bossé
au parc Monceau, enfin, tout à côté,
où d’autres ciels m’étaient offerts.

Aujourd’hui je suis sec – la fatigue a pris entièrement le contrôle de mes muscles et c’est tout distendu mais pas encore tout à fait détendu que je finis, ici, ce poème paysage

alors qu’attablé devant moi au même bistrot de quartier,
Samuel,
aussi,
écrit.


Samuel
Le 9 août
À Guillaume, Florian, Peter, Arsène

Bonjour,

En parallèle des écrits avec Guillaume, j’ai composé un petit ensemble nommé Un voyage, ci-joint.

Bonne lecture,

Samuel

Un voyage

I. Lisieux – Paris
Lundi 8 août

Gare de Lisieux
onze heure trente-neuf
les passagers s’alignent
le long du quai
les fumeurs fument
avec nervosité
leurs cigarettes
la dernière les pauvres
avant l’arrivée à Saint-Lazare
mais la plupart des voyageurs
regardent ou tapent
sur l’écran de leur smartphone
quand ils ne se prennent pas en photos
et même
un homme en utilise un pour avoir
une conversation téléphonique
L’Annonce de l’entrée en gare
est faite par une douce voix féminine
qui résonne irréelle au pied
de la basilique
le train porte le doux nom de
train Numéro 3372
soyez prudents dit la charmante voix
de peur de vous faire broyer par la machine
au loin la sonnerie accompagnant
la fermeture des barrières
empêchant les automobiles
de rencontrer imprudemment
le train qui approche retentit
et pourtant la silhouette massive
pas très assurée d’une dame
traverse les voies
dans un grand imper blanc
crissement des freins du train
dans le wagon un enfant
répète Nan Nan Nan
sa mère essaie de le calmer
il sanglote alors que le train s’élance
puis se tait on entend le froissement
d’un papier d’emballage et
des bruits légers de mastication
Une adolescente de l’autre côté
du couloir lit sur sa tablette
un texte en russe et en
tournicotant une mèche
de ses cheveux longs et blonds
Gare de Bernay
annonce une voix microphonique
masculine nasillarde crachotante
Les passagers tanguent
qui se déplacent quand le train
est en marche déséquilibrés
par leur bagage sursautant
quand un train qui circule
dans le sens inverse
croise le nôtre et le frôle
avec un bruit de violence
Le contrôleur contrôle
les billets et constate
une infraction Carte périmée
le contrevenant paie l’amende
de mauvaise grâce il semble se plaindre
qu’on l’ait trompé
on lui a pas dit qu’on était en 2016
alors que sa carte n’était valable
que jusqu’en 2014
il va faire une réclamation
le contrôleur lui explique
patiemment comment faire
sur le site de la Sncf
Conversation téléphonique en russe
on passe dans un tunnel
bruit de fond d’explosions du jeu vidéo
auquel s’adonne maintenant
l’adolescente russe
gare d’Évreux-Normandie
pleurs de nouveau-né
car la mère voyage
avec ses deux enfants en bas-âge
on l’entend bailler
le nouveau-né crie dans les tunnels
La partie supérieure de la voiture
est aménagée pour déposer
les bagages c’est une tablette
en verre transparent qui permet
d’observer sur neuf ou dix rangs
la tête des passagers
leur chevelure pour les plus éloignés
inversées dans le reflet
Une torpeur se diffuse lentement
le train berce ses voyageurs
même s’il manque de douceur
et le paysage se répète
et la sensation de faim
qui augmente
un voyageur prépare son repas
poisson salade
au téléphone
Pisser dans le train est un jeu
amusant mais risqué
et nécessite un bon sens
de l’équilibre
on ne peut pas s’asseoir
la cuvette est trop sale
beaucoup ont échoué à viser
juste les soubresauts
les cahots du train ayant
dévié le jet d’urine
qui fait une petite flaque
sur le sol en plastique foncé
des toilettes Homme
il est formellement interdit
d’utiliser les toilettes
lorsque le train est à l’arrêt
La climatisation est en marche
bien que la canicule soit bien loin
il fait assez frais dans le wagon
en tee-shirt à manche courte
c’est même désagréable
les grands-mères ont gardé
leurs imperméables crème
le train qui a pris de la vitesse
oscille sur les voies se secoue
dans un paysage d’arbres défilant
sous un ciel bas presque brouillardeux
les plafonniers de la voiture diffusent
une pauvre lumière pâle inutile
peut-être pour insinuer des lampions
car monter à Paris est une fête
Les mères les premières
préparent le débarquement
et puis chaque passager
succombe à tour de rôle à l’impulsion
de se lever de saisir ses bagages
Paris Gare Saint-Lazare
Terminus de ce train

II. Vue de l’esprit
Mardi 9 août

J’aime l’ivresse de bon matin
Dans un bistrot parisien
De voir passer la capitale
Défaite
De sa robe de bal
Je vais la mine enfarinée
À la terrasse du café
Je prends le soleil revenu
Au nez des passants qui se ruent

III. En terrasse
Mardi 9 août

En terrasse il fait faim
place de Ménilmontant
désertée de pigeons
désertée de croissants
Les véhicules descendent la rue
en glissant
et la remontent en vrombissant
quand les piétons grimpent à pas lents
quand ils ne sont pas une grand-mère
courant après le bus en tirant son cabas
Un grand type dévale la chaussée
sur son skate board
et bouscule la circulation
écartant le danger des voitures imprudentes
d’un geste péremptoire au bout duquel
ses mains sont gantées de blanc
Le camion des éboueurs
Propreté de Paris
repasse à grand bruit
passe silencieuse
une foule de gens seuls ou par deux
on ne s’entend pas l’estomac gémir
Comme les arbres ont une trop grande circonférence
on a placé des poteaux
pour y poser les vélos
les cadenasser
et pour qu’ils n’aient pas l’air ridicule
on a coiffés les poteaux
de divers panneaux décoratifs
En terrasse il fait frais
place de Ménilmontant
mais de l’église la pointe du clocher
pointe par-dessus les immeubles
La serveuse accueille les clients
à travers la fenêtre
sur le rebord duquel elle se balance

IV. Attente erratique
Mercredi 10 août

Dans la ville qu’il ne connaît pas
le marcheur hésite
Il est tenté de suivre le flot de la foule
qui le mènera à tout coup
vers quelque havre
Il est tenté de suivre les grandes artères
les grandes directions
de peur de se perdre dans le dédale
des rues traversantes
qui l’attirent pourtant par leur tranquillité
Noter le nom des rues empruntées
et la direction prise aux croisements
est une solution mais qui hache la marche
surtout si les rues portent des noms
interminables ou compliqués
et si le marcheur tourne
dès qu’il en a l’occasion
Porter un sac d’un poids conséquent
deux ou trois jours de vêtements
un nécessaire de toilette
une quinzaine de livres
augmente l’expérience de la marche
S’arranger pour que le sac soit incommode à porter
avec une seule bandoulière qui cisaille
une épaule puis l’autre
(la silhouette du marcheur penche
une fois à droite
une fois à gauche)
c’est encore plus efficace
Le rythme du marcheur
dont la destination n’est pas fixée
ou qui doit marcher un temps précis
comme celui qui le sépare
de l’heure du départ
de son train
est plus lent et saccadé
son parcours plus tortueux
S’il est en quête d’un endroit pour se sustenter
et qu’il souhaite trouver une nourriture
appétissante de bonne qualité
à un prix adapté
s’il a des exigences quant au lieu
où il se reposera et se sustentera
cherchant confort et beauté
service aimable
s’il veut absolument manger
thaï ou végé
son errance risque d’être longue
Pensant avoir trouvé le terme
provisoire de son chemin
il reculera finalement
devant la salle vide du restaurant
au fond de laquelle le guettent
une bande de serveurs désœuvrés
aux airs désespérés
devant une vitrine minable
des prix exorbitants
la mine patibulaire de la serveuse
il reprendra sa marche
La force de la sensation de faim
peut diminuer l’exigence du marcheur
mais plus que tout se trouver soudain
devant la plaque
« Rue des Jeûneurs »
(Paris 2e arrondissement)
Pour peu que le marcheur soit
d’un caractère superstitieux
il craindra ce présage
et la panique ou le découragement
pourront s’abattre sur lui
Heureux si à une ou deux
centaines de mètres
il trouve un restaurant asiatique
rempli de clients
qui semblent manger
de bon appétit
où il pourra se rassasier
d’un Bo Bun
pour six euros

IV. Paris – Lisieux
Mercredi 10 août

Un long tunnel de sommeil
entrecoupé du bruit soudain du train
entré dans un tunnel
La mise au net de ses notes
lire un Journal intime
et se retrouver à Paris en 1942
tandis que mon corps se déplace
entre Paris et Lisieux
On recherche le propriétaire
d’un sac de sport noir
à fermeture éclair dorée
abandonné voiture 17

 

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