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Via – rencontre avec Dexi Tian et Cui Baozhong

« Où vas-tu ? », deuxième exposition du groupe de création contemporaine VIA, se tiendra jeudi 30 janvier 2014 à l’Espace des Arts sans Frontières (vernissage dès 18h30), à Paris.

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Après quelques rapides rencontres dans le cadre des réunions organisées par VIA, dans le courant du mois de janvier, nous nous sommes finalement réunis, Cui Baozhong, Dexi Tian et moi-même, pour un entretien à trois voix, œuvres à l’appui – le temps de faire émerger quelques idées sur la constitution du groupe, l’œuvre de Dexi Tian, et d’en saisir quelques points de réponse à la situation actuelle de la création plastique.

Nous attirons d’emblée l’attention sur les autres artistes et membres du groupe non représentés dans cet entretien, et qui seront aussi au cœur de l’exposition du 30 janvier : Shen Shan, Yu Chenni, Zhang Hui, Zheng Le.

Par ailleurs ils seront accompagnés de David Latapie et Vincent Colay (Association française transhumaniste) pour  une conférence intitulée : « Le transhumanisme d’aujourd’hui ».

AC

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Le 23/01/2014, chez Dexi Tian

Entretien avec Dexi Tian (artiste), Cui Baozhong (président de l’association Via).

Propos recueillis par Arsène Caens.

–       Dexi, tu reviens tout juste de Poitiers, qu’est-ce que tu as fait là-bas ?

DT – J’étais pendant 4 jours dans un lieu d’exposition qui s’appelle : « Le confort moderne » (rires). Je suis allé là-bas pour un workshop, et j’ai utilisé pour mes installations des objets trouvés sur place… Là par exemple, j’ai refait le mur :

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Un mur de 30 m de long, rouge. Moi, j’ai juste ajouté les bouts de verre. Mon but c’est toujours de trouver les actions les plus simples. Juste ajouter : « action simple », j’appelle ça comme ça. (rires)

–       Est-ce que tu donnes des titres à tes œuvres ?

DT – Rarement. À chaque fois, je trouve que ça n’est pas facile. En plus, donner un titre, ça veut dire bloquer le sens…Celle-là par contre, elle a un titre :

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Le vent se lève: quand j’ai ouvert la porte le vent a fait entrer des feuilles et les a amenées ici dans le coin du mur, où il y a aussi un nid d’araignées. J’ai touché un tout petit peu pour organiser et j’ai mis un titre : c’est une œuvre (rires)Il y a ça aussi :

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–       J’ai l’impression que tu disposes toujours tes œuvres contre un mur, comme si tu leur refusais une certaine autonomie. Il y a une volonté de discrétion, d’effacement derrière tout ça, non ?

DT – Oui, je ne sais pas pourquoi mais j’ai toujours travaillé vers le mur. Tu vois, le mur rouge m’a intéressé aussi…Mais là par contre, non :

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Ça c’est une chose trouvée là-bas, qui sert à barrer la route normalement. C’est un peu érotique aussi, on me dit souvent ça de mon travail. Comme là aussi par exemple [sur une commode à côté de nous ] :

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Dessus ce sont des graines de plantes, qui font comme des spermatozoïdes… Au début je n’étais pas conscient de cet aspect « érotique » de mon travail, mais les gens, et surtout mes professeurs, me l’ont fait remarquer. Ensuite c’est vrai, je m’en suis rendu compte.

…DEXI TIAN : SON PARCOURS…

–       Là tu parles de tes professeurs en France, mais tu t’es formé en Chine aussi…

DT – Oui, mais en Chine je faisais seulement de la peinture, du dessin, des choses comme ça. C’était à l’école des Beaux-Arts de Shandong, au Nord-Est de la Chine, juste en face de la Corée. Quatre ans là-bas pour étudier les techniques traditionnelles, en fait. Mais à ce moment là, tout seul, je travaillais déjà sur de la vidéo. Mes études en Chine, c’était au début des années 2000 et à cette époque il n’y avait vraiment pas grand chose à l’école, pas de travail d’installations ou de choses comme ça. Même la vidéo, c’était tout nouveau ! Quand j’ai fait une vidéo tout le monde a adoré, parce que personne d’autre n’en faisait, justement… En Chine, l’art contemporain, ça a commencé il y a très peu de temps à l’école, seulement autour de 2005/2006.

–       C’est pour ça que tu es venu en France alors. Mais est-ce que la France était vraiment un choix, ou est-ce que tu aurais pu aussi bien aller à New York, par exemple ?

DT – Moi déjà j’aime bien les films français, et italiens, d’Europe occidentale quoi… Mais la France c’est un peu par hasard en fait… Parce que tu sais pour venir en Europe, il faut de l’argent, et moi je viens d’une famille qui n’a pas beaucoup d’argent. Déjà pour faire mes études en Chine on a dû payer beaucoup : pour une année, il fallait 10000 yuan !  C’est beaucoup… Après les Beaux-Arts, j’ai travaillé pendant 3 ans en Chine, dans une entreprise de vente aux enchères. Mais j’avais un ami qui faisait des études à Lille. Moi, j’aime beaucoup la pêche, et un jour, lorsqu’il est rentré en Chine pour les vacances, je l’ai amené pour pêcher des poissons et boire un verre. Il m’a raconté tout ce qui se passait en France, les Beaux-Arts, comment avoir les visas etc. Il m’a dit que sa copine voulait venir et qu’elle devait aller à un cours de langue française le lendemain. Du coup, j’ai bien réfléchi pendant la nuit, et le lendemain j’ai parlé à mon patron, et rapidement je suis allé prendre des cours de français avec elle.

Du coup voilà, c’est un hasard. En plus New York c’est plus cher, comme Londres ; à Londres, là c’est sûr, je n’aurai jamais pu y aller… (rires)

–       Ça te paraît bien la France pour la création, dans ton secteur ?

DT – Oh oui… Je trouve que c’est bien placé… J’ai passé deux ans à Reims pour bien apprendre la langue française, puis j’ai passé le concours pour rentrer à Cergy, pour une équivalence en troisième année. La troisième année, c’était un peu dur, la langue, la méthode pédagogique… Pendant cette année, je n’ai travaillé que la vidéo. Au début je faisais de la peinture, ce que j’ai appris en Chine, mais les profs me disaient « non ça c’est classique, c’est 19°s etc. ». Et c’est vrai qu’à Cergy, il n’y a quasiment personne qui fait de la peinture. Du coup comme je savais faire de la vidéo et qu’un professeur aimait bien mon travail, j’ai commencé par là…

–       Ça veut dire que quand tu es arrivé en France tu n’avais pas encore décidé de faire des installations, comme tu fais maintenant ? Tu étais encore peintre en fait…

DT – Oui, les installations c’est à partir de ma 4° année ici, en 2010. Il y avait beaucoup de possibilités d’exposition, et du coup j’ai travaillé comme ça…

–       Par quels réseaux as-tu pu participer à ces expositions ?

DT – Par l’école, le réseau des professeurs… Le plus dur c’est après l’école. D’abord je me suis inscrit à l’université à Paris 1 pour des cours, mais ça ne m’intéressait pas vraiment, j’y suis allé un mois. Puis j’ai été reçu ici à la Cité Internationale des Arts. Poitiers aussi ça vient du réseau d’un professeur, avec qui je suis devenu ami. Mais de mon côté aussi j’ai trouvé des choses, et puis avec des amis bien sûr. Avec les gens de Via par exemple on s’est mis à réfléchir à des solutions pour exposer, et ça a donné notre groupe, qui s’est vraiment formé en août 2013.

…SUR LE GROUPE VIA…

–       En général, comment est-ce que vous fonctionnez? Je sais que vous faites des réunions tous les dimanches : déjà, le fait de discuter à plusieurs, c’est une chose centrale pour vous…

CB – En fait la liste gens présents n’est pas fixe. Il y a juste un noyau composé de moi-même, Dexi et Le. Ça fait 6 mois qu’on réfléchit ensemble, mais c’est plutôt une période de structuration, de connaissance mutuelle. Pour le moment on fait des essais, on collabore, ce qui ne veut pas dire qu’on fera plus tard beaucoup de choses avec les mêmes personnes. On reste ouvert, c’est pour ça qu’on t’a fait venir aussi pour discuter. Dans mon idée, le but c’est de trouver cinq ou six personnes pour ensuite faire quelque chose à long terme. Une nouvelle manière d’exposer, de créer…

–       Toi, Cui, tu as une position particulière, parce que tu es dans ces réflexions, mais tu n’es pas artiste…

CB – Non, en effet. Zhang Hui n’est pas artiste non plus. Il y a six mois j’ai été invité par Dexi pour rejoindre un groupe d’artistes, qui a amené à créer  Via, composé aussi de Zheng Le et Zhang Hui. Au début on était donc quatre, et ils m’ont invité pour avoir un avis différent. Eux sont artistes, et par rapport à leur création ils ont besoin d’autres types d’opinion, d’autres points de vue pour réfléchir sur ces questions. Pour la première exposition c’était Zheng Le, principalement, qui avait organisé. C’est ensuite seulement que j’ai pris le rôle d’organisateur, pour la prochaine exposition par exemple, qui est la deuxième depuis la fondation du groupe. Pour ça j’ai étudié le sujet, j’ai rassemblé des informations…

–       Qu’est-ce qu’il y avait dans cette  exposition ?

CB – Elle s’appelait « Où es-tu ? », c’était était une recherche sur le « soi ». Pour nous c’était plus particulièrement une réflexion sur l’identité culturelle au milieu des phénomènes multiculturels : comment  s’identifie-t-on dans le monde aujourd’hui, en tant que Chinois ?

IMG_5453Mais on ne se pose pas la question sous un angle philosophique. On se demande directement, à partir de nous-même : par rapport à l’identité, que sommes-nous ? Pas seulement en tant que Chinois, en fait. Parce qu’avec Dexi et Le, par exemple, on vit en France depuis minimum cinq ou six ans. Moi, je suis là depuis dix ans. Donc on n’est plus purement Chinois, et on a appris beaucoup de choses en France. Moi j’ai appris la philosophie, la théologie, la littérature, et ces choses là nous changent. Donc on accepte tout ça, et on essaye de réfléchir sur le point de départ qui est le notre. Déjà, on avait essayé de combiner l’exposition avec une conférence.

–       Oui, ça c’est une chose importante pour vous…

CB – Très important. Il y avait quatre intervenants pour quatre soirées avec à chaque fois un thème différent. Ce qui était peut-être trop en fait : il y avait beaucoup de monde au départ, mais ensuite seulement une trentaine de personnes environ. C’était un essai, avec plein de choses dedans. L’idée de la réunion conférence-exposition était, par exemple, de faire l’expérience du langage et de l’image mis ensemble. Parce que pour l’Homme, l’apprentissage se fait par l’ouïe et la vue. Là, on voulait faire les deux choses ensemble. Certains spectateurs ont trouvé ça dérangeant. Mais dans le monde actuel en général, les choses fonctionnent ensemble, et parfois sans lien. C’est une chose qu’il faut observer.

–       Plusieurs thèmes assez différents ont été abordés dans les conférences. Qu’est-ce qui les réunit de votre point de vue ?

CB – C’est toujours lié à la science. Pour celle du 30 janvier aussi. On considère souvent dans la société que la science à une stabilité pour avancer, qu’elle fonctionne sur une base de données solide. Pour la littérature et pour l’art, il peut y avoir des impasses, et on peut arriver à une grande pluralité de concepts, pour définir l’art contemporain par exemple. Du coup moi aussi, comme Dexi, je recherche une sorte de mur solide pour avancer…

–       Ce mur là, pour toi, c’est la science…

CB – Oui, mais en même temps il y a un paradoxe, parce que même si la science est stable, on peut toujours se demander : jusqu’où doit-on aller  avec ça ? On a parlé de quatre domaines de réflexion liés à la technologie dans nos conférences : nanotechnologie, informatique, génétique et sciences cognitives. Un jour, la science changera radicalement l’être humain, et du coup dans un truc stable peut se cacher quelque chose de…pas dangereux mais…inquiétant… Pour le moment on ne peut pas dire. Donc on regarde ça. D’où le thème du transhumanisme pour la prochaine exposition. Mais c’est un grand paradoxe. En Chine par exemple, on dit toujours : le bonheur est toujours à côté du malheur, et inversement. Et pour l’art on se pose cette question : est-ce que c’est une bonne solution de s’accrocher à la science comme à un mur ?

– Toi Dexi, en tant qu’artiste, comment est-ce que tu arrives à travailler, c’est-à-dire à faire des propositions concrètes, dans un cadre contemporain de réflexion qui postule justement l’insignifiance de toute proposition ? Tu cites par exemple la phrase de Song Dong : « En vain s’il ne le fait pas, en vain s’il le fait, même si en vain il faut le faire. » Comment te positionnes-tu par rapport à ça ?

DT – Ce qui est important c’est : « il faut le faire ». L’art pour moi c’est une pratique, c’est à dire, une façon de vivre. L’art s’exprime autour de moi, dans l’endroit où je vis. Dans la vie quotidienne en fait, qu’il faut réussir à améliorer artistiquement.

–       Si je comprends bien, ce qui est vain c’est l’idée que l’art permettrait d’accéder à une signification supérieure du monde et de l’existence. Par contre en tant que pratique, en tant que possibilité de dialogue pour des gens qui veulent vivre bien dans une certaine réalité concrète, l’art doit jouer un certain rôle, c’est ça ?

DT – Oui. Rendre le quotidien plus poétique. Ce qui est important déjà, pour moi, c’est de rencontrer des objets. Pas les trouver. Juste les rencontrer. Ça, c’est déjà une poésie. Parce que souvent, lorsqu’on cherche quelque chose, on ne le trouve pas. Mais à chaque fois qu’on ne cherche pas, on trouve. Quand tu cherches, il faut donner du temps, de l’énergie etc. C’est fatigant… Je parle beaucoup de Duchamp, qui a dit : « Ma meilleure œuvre c’est ma vie », et aussi, à la fin de sa vie : « Je suis très heureux ». Moi ce que je veux c’est vivre bien, avoir une vie tranquille.

CB – C’est comme dans le taoïsme…

–       On se réfère beaucoup aujourd’hui aux philosophies extrême-orientales pour savoir comment gérer avec « sagesse » un certain nombre de problèmes. Par exemple : la puissance parfois destructrice de la technique, sur l’environnement, la société etc. Mais le problème qui est fréquemment posé est : ces sagesses reposent souvent sur l’idée d’acceptation, et peut-être qu’au fond leur recours sert au final une forme de résignation par rapport à une question en fait très politique. Est-ce qu’on ne peut pas dire qu’il y a une forme de passivité là-dedans ?

DT – Ça n’est pas passif. C’est une manière d’agir face à la situation. Dans mes œuvres, il y en a rarement de la politique, très rarement… Sur la société oui, mais pas vraiment sur la politique. Plutôt sur la notion de consommation en fait.

CB – L’esprit taoïste, pour moi, est de gérer les choses. On ne répond pas directement à une provocation, mais on reste responsable pour la chose. Parce que l’homme c’est l’homme, et l’affaire c’est l’affaire. Il ne faut pas mélanger les choses. Dans la pensée chinoise, on ne cherche pas à changer le cours des choses. En occident on parle de changer le monde. Or, nous, on laisse le monde changer… Il faut juste trouver le meilleur moyen d’arriver au but. C’est non-agir pour finalement agir bien.

–       Peut-être que tout simplement vous n’avez pas le sentiment de devoir vous battre, en tant qu’artiste, pour réussir à être qui vous êtes… Selon vous, par rapport à la situation de l’artiste aujourd’hui tout fonctionne bien ?

CB – En tout cas tout fonctionne. Il y a des problèmes, comme partout. De toute façon il y a plein de façon de faire : pour certains artistes, c’est important, comme pour Aï Weiwei par exemple.

DT – Moi de toute façon je fais les choses comme je les veux, et je préfère laisser le temps aller.

–       Laisser le temps et avoir une vie riche de présences, d’événements du quotidien, c’est bien ça ?

DT – Oui l’art est un processus, c’est une manière de vivre. Si j’ai la chance de pouvoir partager avec les autres c’est bien ; si je n’ai pas de chance, tu vois, je fais comme pour ce petit temple, que j’ai fait pour me soulager de la souffrance. Maintenant, le politique ça n’est plus que l’argent de tout façon. Ai Weiwei j’aime bien aussi, mais quand je vois ce qu’il fait je me dis :  « c’est pas pour moi ». Mais tu sais, sa famille était déjà très puissante en Chine. Son père, Ai Qing, était un grand poète. Du coup il peut faire ce qu’il fait sans être touché, et c’est pour ça qu’il n’est pas mort. Moi ce que je pense c’est ça : si chacun est bien à sa place, le monde va changer. C’est ma manière de dire, et aussi de travailler. Et c’est pour ça que je travaille avec les objets.

CB – Pour cette raison, dans notre groupe, on a une vision de la mondialisation selon laquelle les frontières culturelles et politiques seront de moins en moins fortes. Surtout pour les cultures : il y a beaucoup de chinois qui vivent en France, beaucoup d’étrangers qui vivent en Chine. Pour nous, l’être humain est un être humain, ça n’est plus un Chinois ou un Français. Le monde devient un village. Nous, on voulait partir de là.

DT – L’identité chinoise, moi, ça ne m’intéresse pas trop. Déjà, être humain.

–       Dexi, quand tu dis que tu ne cherches pas à affirmer une proposition artistique forte, que pour toi l’art, tout simplement, c’est la vie, que tu cultives beaucoup de silence autour de l’œuvre, en laissant les interprétations toujours ouvertes, est-ce que tu te reconnais particulièrement dans un esprit taoïste ?

DT – Si on veut dire taoïste, on dit taoïste, mais moi je ne suis pas religieux. Une phrase taoïste peut changer ma façon de vivre, mais je ne suis pas taoïste pour autant. Ce qui est important c’est d’avoir une vie toute simple. Matériellement, et aussi dans son esprit.

CB – Il faut se méfier des grandes idées : Dexi est comme ça. C’est lui, tout simplement.

–       Je suis d’accord. On pourrait facilement penser que tout ceci se ramène à une logique de vie très individualiste, centrée sur un certain retrait. Or je remarque que vous, à Via, vous vous exprimez très souvent sur le thème du lien social, et vous réfléchissez à la façon d’insérer la création dans la société et de vous organiser à plusieurs. Comment tout cela s’articule ?

CB – Je pense que l’œuvre de Dexi, par exemple, est personnel et individuel, évidemment. Mais lorsqu’il fait son œuvre, en réalité, il se tourne vers des objets qui ne sont pas à lui. Et là il se met en relation avec la société et avec les autres. Et quand il expose, une relation supplémentaire se crée avec le spectateur. Dans le groupe, la relation sociale et humaine est très importante. Par ailleurs, on se méfie des étiquettes. Nous avons pris aussi beaucoup d’idées de la philosophie occidentale et finalement tout est compris dans notre approche : les classements se croisent. On veut respecter les différences, mais créer au-dessus d’elles.

–       Pour vous, l’art est une façon de créer des relations, de mener une recherche d’actions poétiques dans le champ de l’expérience sociale. C’est une façon de communiquer en fait…

DT – Oui, communiquer, c’est très important. Mais par exemple, quand des gens viennent me voir dans mon studio, même s’il y a des œuvres tout autour de nous, souvent les gens disent : « bon alors, elles son où tes œuvres ? » (rires). Partout !

…VISITE : LE STUDIO DE DEXI, SON ATELIER…

–       Le public se demande souvent ce que « signifient » directement les œuvres des artistes contemporaines. Mais peut-être que ce qui est important c’est de se demander d’abord comment un langage est développé et comment une relation de communication peut se mettre en place entre l’artiste et la société. Ce qui suppose de vivre ensemble, en réalité, sans isoler nécessairement la position de « l’artiste ». Dexi, est-ce qu’on peut voir des œuvres, ou quelques éléments à partir desquels tu travailles et qui composent ton langage et ton univers ?

DT– Bien sûr. Regarde juste derrière toi :

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DT – Cet ensemble, c’est un temple. J’ai perdu ma mère, il y a quelques mois. Je suis resté un mois à la maison en Chine avec mon père, mais tu sais, je pleurais tout le temps. On ne peut rien faire… Donc je suis retourné en France pour travailler, et j’ai installé ce temple. C’est comme la cabane de ma mère. Je la vois tout le temps dans ma chambre, et vraiment ça me soulage. Il y a un portemanteau, une ficelle pour les rideaux, des objets trouvés en plâtre, un os de vache, un petit cactus…

CB – Tu sais sur les tombeaux en Chine on met des fruits frais pour honorer les ancêtres, comme ici. Et l’ensemble fait une croix.

DT – Ça aussi [dans le passage entre l’entrée et la chambre ] :

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C’est une chasse d’eau avec un pendule comme pour une horloge. Et ça ne bouge pas. Tout ça, c’est le silence, en fait, de la tranquillité. Et il y a de la beauté là-dedans. Sur ça aussi on dit que c’est érotique [dans la cuisine]:

SANS TITRE n2, 2013

C’est un saucisson que je ne vais jamais manger : il est là depuis cinq ans. Cette pièce a suscité beaucoup d’idées auprès des gens. Une fille m’a dit c’est un pénis pas excité. Une autre personne m’a dit que c’est comme un arc. Au dessus en fait, c’est une poignée de sceau que j’ai trouvée à Bordeaux dans les vignes. Les objets m’intéressent, ils me font du bien. Évidemment, ils parlent. C’est l’objet qui me donne des idées. C’est pour ça que je ne cherche pas… Maintenant je vous montre mon atelier :

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DT – Des fruits, des pierres, des outils, du cartilage trouvé sur la plage, des ampoules, des machines, des bonbons…

AC – Tous ces objets là tu peux les utiliser pour en faire des œuvres. Ce sont tes matériaux, les éléments de ton langage. Ce sont des mots…

DT – Oui ce sont des mots.  Travailler ici est très lié avec la société. Dans cette pièce-là, tout à gauche, avec les pots de yaourt, il y a un peu de critique. Les philosophes, je ne connais vraiment pas trop. Ce qui m’a donné de la force, ce sont les poètes. Hölderlin, Rilke… Et il y a des poètes chinois, Hai Zi, qui s’est suicidé à 25 ans ; c’est grâce à lui que je connais les poèmes de Hölderlin…Ce baril contenait le produit nécessaire pour fabriquer du plastique, qui est très mauvais pour notre terre.

CB – C’est un produit chimique, un poison qui tue. Et on fabrique avec ça des pots de yaourt pour les enfants, donc pour nourrir et accompagner la vie. C’est un grand paradoxe.

DT– Et là aussi la forme est érotique. C’est pour ça tu vois, je n’ai jamais envie de donner de titre… Dans les toilettes :

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Là aussi, c’est comme un petit temple pour le quotidien, avec des cotons démaquillant pour filles, une touche d’encre de Chine à chaque fois, et au milieu un tube en verre qui fait comme une croix. Je ne suis pas religieux, mais ça me fait du bien…

Avec le soutien de FELD + HAUS.

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